Nous continuons la publication d’une grande série d’interviews de médiateur/rice numérique en bibliothèque ou hors bibliothèque.

Les enjeux de la démarche étaient de recueillir des données factuelles permettant de dégager de grandes tendances en termes de compétences et de types d’accompagnements des usages dans des contextes pluriels.

Avant de commencer, on se posait quelques questions comme : Y-a-t-il des différences dans la façon d’aborder l’inclusion numérique en et hors bibliothèque ? Des lignes claires se dégagent-elles dans le positionnement professionnel ? Les différents médiateurs numériques connaissent-ils leurs champs d’intervention réciproques quand ils n’évoluent pas dans le même contexte?

L’enquête nous apporte des réponses que l’on vous livrera d’ici quelques semaines.

Dans l’attente, on vous propose la publication d’une série de portraits.

Personne interviewée : Audric Gueidan

Poste occupé : Responsable espace de coworking / formateur

Etablissement : Agglomération de Cholet / La Filature Numérique

  1. Quel est votre parcours d’études ?

J’ai un Bac STI Arts Appliqués. J’ai ensuite eu une licence Art du Spectacle option Cinéma, puis j’ai passé un Master 2 Pro ingénierie de la culture, médiation des savoirs scientifiques, organisation d’espace et d’événements culturels en VAE.

En parallèle j’ai continué de me former sur différents sujets (accessibilité numérique, RGPD, numérique responsable, outils no code) en auto formation, mooc et formation à distance.

  1. Quel est votre parcours professionnel ?

J’ai travaillé pendant pas loin de 10 ans en centre de loisirs (en parallèle des mes études) puis au sein du service culturel de mon université. J’étais responsable de la programmation cinéma et d’une partie de la communication. J’ai également à ce même moment commencé à travailler comme Freelance sur des questions audiovisuelles (tournage, montage, film d’entreprise). Je me suis ensuite tourné exclusivement vers mon travail indépendant et ai commencé à intervenir dans des centres sociaux, des services jeunesse, sur de l’animation d’ateliers et de formations.

Quelques années après, j’ai pris un poste de responsable d’espace public numérique, au sein d’une médiathèque. Deux gros projets hyper motivants à lancer : un espace jeux vidéo et un fablab mobile. On était donc des précurseurs (c’était y a 10ans).

(NDLR Audric est passé un temps par la commission Labenbib de l’ABF, cf article de 2018 de la revue Bibliothèque(s) !-)

Après un an comme responsable de médiathèque et chargé de développement du numérique dans une autre structure, je suis parti travailler directement dans un fablab. J’étais responsable du laps kids et de l’espace formation adulte.

Deux ans après, j’ai envie de changement, je reprends ma casquette d’indépendant mais en puisant dans toutes mes expériences passées, et en me spécialisant sur certains sujets numériques. Je deviens donc formateur. J’interviens pour un nombre important de médiathèques départementales, je rentre dans des catalogues de formation, j’anime des ateliers pour des centres de formation de bibliothécaires (comme MediaLille). Mes principaux axes sont les suivants :

  • Protection des données personnelles
  • Créativité numérique (fablab, jeux vidéo, coding)
  • Accompagnement à l’autonomie numérique, à la collaboration en ligne

Avec l’arrivée du Covid et le confinement , je suis obligé de revoir ma manière de travailler et je développe des formations à distance. J’en profite aussi pour créer du contenus et documenter mon travail.

Je suis ensuite débauché par une communauté de communes pour être médiateur numérique dans un réseau de bibliothèques. Je suis responsable du SIGB et dois former les équipes (pro et bénévoles) sur différents outils.

Deux années après, changement de collectivité et de missions. Je gère actuellement un tiers-lieu qui rassemble un hôtel d’entreprise, un espace de coworking, des salles et bureaux en location. J’ai pour mission de faire vivre le lieu et de développer la filière numérique locale.

Je continue donc à faire de la médiation mais à destination d’un public entreprise.

  1. Vous sentez-vous légitime aujourd’hui dans le domaine de la médnum ?

Je me suis très rapidement senti légitime. A partir du moment où j’ai pu aider des collègues et voir que j’avais des facilités sur ce type de sujet, c’est devenu « normal » pour moi.

Le fait de pouvoir former des gens et leur transmettre des compétences est primordial pour moi. Je n’ai jamais eu de syndrome de l’imposteur, et je pense avoir été au bon endroit au bon moment.

J’ai d’ailleurs pu d’une part former des conseillers numériques, et de l’autre participer à des sessions en tant que jury. C’est donc que mon « expertise » (même si je n’aime pas vraiment ce terme) est reconnue par mes pairs.

  1. Pour vous, quelles sont les missions d’un médiateur numérique ? que mettez-vous dans votre périmètre, et que mettez-vous en dehors ? La question « de faire avec » versus « faire à la place de » se pose-t-elle fréquemment ?

Le médiateur numérique doit permettre à toutes et tous de pouvoir prendre en main des outils numériques, qui peuvent sembler « hostiles ». C’est bien pour ça qu’on parle de médiation. Le numérique / l’informatique ça fait peur, de nombreuses personnes se sentent démunies, ne veulent pas y toucher de peur de faire une bêtise.

Le médiateur doit accompagner sur la technique, mais aussi sur les enjeux.

Le numérique est partout, nous sommes tous concernés, que ce soit au travail ou dans la vie de tous les jours. Et même si quelqu’un n’a pas envie d’utiliser des services ou outils numériques, il va s’y retrouver confronté. On a donc besoin d’avoir un minimum de bagages pour ne pas se retrouver bloqué.

De ce fait, le périmètre est pour moi très large, et ayant eu une multitude d’interlocuteurs différents, je ne mets au final pas de limite à ce périmètre. La limite peut être définie par des missions (liées à une fiche de poste, à l’organisme pour lequel on travaille, ou par la personne qu’on accompagne), mais ce n’est pas médiation en tant que telle qui a des limites. C’est juste une histoire de cadre.

Je peux donc aussi bien accompagner Monsieur A sur des questions d’accès aux droits, d’administration en ligne (pourquoi pas avec un cadre Aidant Connect), que conseiller Madame B sur des sujets pratiques (en lien avec les réseaux sociaux), que l’entreprise C sur des questions de protection des données et de sécurité informatique.

Dans ma manière de travailler, j’essaie toujours de « faire faire », mais quelqu’un qui n’a pas l’envie ou le temps, et qui cherche parfois simplement une solution ou une information, peut juste regarder et essayer de comprendre. On apprend en manipulant, en essayant, en ratant et recommençant. Mais encore faut-il avoir du temps pour ça.

portrait médiateur numérique hors bibliothèque
  1. En tant que médiateur numérique, quelle est votre place dans votre équipe / service ? Quels liens sont tissés entre votre activité et celle de vos collègues ? Quelles compétences sont déjà partagées ? Quelles compétences mériteraient d’être davantage croisées ?

Je pense que c’est quelque chose d’assez commun mais à partir du moment où des collègues vont nous identifier comme le « geek » ou celui qui connait un peu les ordinateurs, ils vont rapidement nous solliciter pour des irritants du quotidien, parfois avant même de chercher tout seul. C’est toujours plus simple et rapide de se reposer sur quelqu’un qui a des compétences.

Mais sur le long terme, il faut pouvoir transmettre à ses collègues, à son équipe, des astuces, des compétences, pour leur faire gagner en autonomie (et nous décharger de ces petites tâches).

Côté médiathèque, l’exemple qui me vient est celui des activités numériques jeunesse. C’est bien si le médiateur numérique anime ce type d’atelier, mais c’est encore mieux quand c’est quelqu’un de l’équipe jeunesse qui prend en main les choses (après s’être formé avec le médiateur).

En soi, je dirais que toutes les compétences en lien avec le numérique devraient faire tache d’huile et aider les collègues à mieux comprendre comment tout ça fonctionne. Pas besoin d’être expert, mais avoir un socle de base (comme le propose un peu PIX) permet tout de même d’aller plus loin.

  1. Selon vous, dans les années qui viennent, comment va évoluer la médnum et le métier de médiateur numérique en bibliothèque ?

J’espère que les nouveaux/jeunes collègues vont être plus enclins à s’approprier les outils numériques. Il y aura toujours besoin de médiation numérique en bibliothèque car il y aura toujours du public en difficulté. Le fameux « tout dématérialisé en 2022 » n’est ni possible, ni souhaitable. Cela ne fera que creuser les écarts et limiter l’accès aux droits des plus démunis. Il faut de l’humain.

Il faut également que le numérique soit présent un peu partout, et ne se limite pas à une personne spécialisée. Il faut donc continuer de former les collègues.

En 10 ans, je n’ai pas l’impression que cela ait beaucoup bougé, mais il y a des sujets, des thématiques qui font avancer (parfois à marche forcée) les choses. Le confinement a obligé les gens à se mettre au télétravail et aux outils collaboratifs. En ce moment c’est la question de l’intelligence artificielle qui va pousser des métiers à se réinventer, ou à intégrer ce nouveau type d’outils dans leur pratique.

  1. Quel type de public vient vous voir, et quel est son besoin, quelles sont ses demandes ?

Actuellement, je vois un public « entreprise », à la fois des « solopreneurs », des freelances qui débutent, des PME, des TPE, sur des sujets précis.

J’ai mis en place une programmation événementielle pour répondre à un maximum de demandes, avec des ateliers, conférences, tables rondes, retours d’expérience, et des temps de rencontre.

Le public « entreprise » a besoin d’identifier des interlocuteurs, de trouver des clients mais surtout des prestataires. Et une partie de ce public cherche à se former et à mieux comprendre comment tout ça fonctionne.

Récemment, c’était Les Folles Journées pour Entreprendre, qui s’adressaient donc à un public en questionnement et qui démarre une activité.

Parmi les sujets numériques proposés, j’ai organisé une soirée sur le référencement web (comment ça marche, à quoi ça sert), et une autre plus sur les outils pour développer son activité (comment mesurer l’impact de mon site, avec quoi gérer mes clients, comment partager des fichiers).

Concernant mes activités toujours en lien avec le monde des bibliothèques, j’interviens auprès du public par le biais de conférences principalement. Et sinon je continue de former des bibliothécaires. Je ne reçois pas de demandes, c’est plutôt moi qui propose des sujets.

  1. Sur quels matériels et logiciels intervenez-vous (ceux du public, ceux de la bibliothèque, les vôtres) ?

Actuellement, sur mon matériel. Lors de précédentes expériences (avec le grand public), si des participants viennent avec leur matériel, j’interviens dessus.

C’est bien d’avoir du matériel à mettre à disposition, mais les gens ont aussi leurs habitudes et aiment utiliser leurs outils.

  1. Avez-vous les moyens de faire votre travail de médiateur (matériels adaptés, réseau Wi-Fi accessible, accès possible aux sites les plus fréquents, etc.) ?

Actuellement oui.

Lors de précédents postes, pas toujours, j’ai toujours eu du matériel à disposition (bien que parfois il mette du temps à arriver), mais c’est surtout des sites et ressources qui pouvaient être bloqués par le service informatique.

J’ai eu de la chance d’être à des postes où il y avait un minimum de budget pour ces questions-là. Et il faut surtout que le responsable/l’organisme pour lequel on travaille comprenne nos besoins. Lorsqu’il y a un véritable projet et une envie de proposer quelque chose, ça avance.

  1. Quel est votre rayon d’action géographique ?

Je suis en Maine et Loire et, dans le cadre de mon poste, j’interviens de manière locale, dans mon tiers-lieux. Mais je me déplace sur le territoire pour participer à des groupes de travail (région).

Dans mon cadre d’indépendant, je n’ai pas de limite géographique, mais j’évite d’aller à plus de 2h de route. Je n’interviens plus que sur mes sujets de prédilection. Et sinon je fais du distanciel.

  1. Intervenez-vous dans des actions de médiation autres que numériques ?

Non

  1. Si vous avez été médiateur numérique en dehors des bibliothèques : quelles sont les différences ?

Les besoins sont les mêmes, c’est juste la porte d’entrée qui diffère. Mais si j’accompagne quelqu’un sur des sujets numériques dans le cadre de son travail, il est fort à parier qu’il a les mêmes problèmes dans son cadre privé.

Les sujets sont également les mêmes, bien qu’il puisse y avoir des besoins plus « précis ». Tout le monde a besoin de comprendre comment fonctionnent les réseaux sociaux, mais en effet le but n’est pas toujours identique.

  1. Avant d’y travailler, fréquentiez-vous des bibliothèques ?

Avant de devenir médiateur numérique en médiathèque, je n’avais en effet pas été utilisateur de leurs services depuis un long moment.

Quand j’étais plus petit, j’allais aux heures du conte et aux ateliers artistiques, mais j’ai arrêté d’y aller à l’entrée au collège il me semble. Pendant mon adolescence j’allais parfois au CDI, et à l’université je passais de temps en temps à la BU. Mais je ne ressentais pas le besoin d’y aller plus que ça. Je n’y voyais pas beaucoup d’intérêt (en dehors de pouvoir emprunter des documents). Il n’y avait d’ailleurs pas d’autres offres.

Je pense que la présence d’outils numériques permet justement de faire revenir un public (jeune) qui n’a pas toujours accès à ce type de matériel.

Si je prends l’exemple du jeu vidéo, il s’agit d’un loisir onéreux et toutes les familles ne sont pas équipées en machine. Si on parle de postes informatiques à disposition du public, là aussi cela permet de combler un manque pour une part importante de la population.