[Interview] Médiateur numérique en bibliothèque (#6)

Avatar d'un médiateur numérique en bibliothèque

Nous continuons la publication d’une grande série d’interviews de médiateur/rice numérique en bibliothèque ou hors bibliothèque.

Les enjeux de la démarche étaient de recueillir des données factuelles permettant de dégager de grandes tendances en termes de compétences et de types d’accompagnements des usages dans des contextes pluriels.

Avant de commencer, on se posait quelques questions comme : Y-a-t-il des différences dans la façon d’aborder l’inclusion numérique en et hors bibliothèque ? Des lignes claires se dégagent-elles dans le positionnement professionnel ? Les différents médiateurs numériques connaissent-ils leurs champs d’intervention réciproques quand ils n’évoluent pas dans le même contexte?

L’enquête nous apporte des réponses que l’on vous livrera d’ici quelques semaines.

Dans l’attente, on vous propose la publication d’une série de portraits.

Personne interviewée : Kevin Fellmann

Poste occupé : Médiateur de fabrication numérique

Etablissement : Médiathèque Départementale de l’Essonne

  1. Quel est votre parcours d’études ?

Après un bac S Sciences de l’ingénieur, j’ai obtenu un DUT en Informatique (généraliste mais plus orienté développement) ainsi qu’une licence professionnelle en Image et Son Numériques (orientée infographie 3D). Cherchant à me reconvertir, j’ai découvert les métiers des bibliothèques et ai obtenu, en année spéciale, un DUT Métiers du livre option bibliothèque.

  1. Quel est votre parcours professionnel ?

Suite à mes études, j’ai fait un service civique pour la Ligue de l’enseignement du Loir-Et-Cher où j’ai réinformatisé la BCD jeunesse de l’antenne locale de Lire et faire lire ainsi que la bibliothèque de la Maison d’Arrêt de Blois où je faisais également les accueils.

Pour continuer cette expérience carcérale, j’ai travaillé 3 ans comme assistant de bibliothèque pour Lire C’est Vivre (LCV), l’association gérant les bibliothèques de la Maison d’Arrêt de Fleury-Mérogis. Entre les tâches bibliothéconomiques classiques, j’y ai coordonné les auxiliaires de bibliothèques et géré l’administration de la formation ABF organisée par LCV au bénéfice des personnes détenues.

En 2019 j’ai rejoint la Médiathèque Départementale de l’Essonne (MDE) en tant que médiateur numérique pour la création d’un fonds jeu vidéo ainsi que la prise en charge des outils d’animation numériques prêtés aux acteurs de la lecture publique essonniens. J’ai également animé plusieurs formations à destination des professionnels du réseau (Bibliothèque Numérique Essonne du Sud, jeux vidéo, réalité virtuelle et réalité augmentée…).

Depuis juin 2022, je suis médiateur de fabrication numérique, toujours pour la MDE, et suis en charge du FabuLab 91, un fablab itinérant à destination des bibliothèques rurales. J’organise des partenariats, anime des ateliers, forme des professionnels, entretiens les machines…

  1. Vous sentez-vous légitime aujourd’hui dans le domaine de la médnum ?

Suite à mes 4 ans d’expérience dans le domaine, aux retours des collègues du réseau de lecture publique de l’Essonne et de ma hiérarchie, je pense que mon travail dans ce domaine est apprécié. Si je suis à l’aise vis-à-vis de l’accompagnement des professionnels, je n’anime pas d’ateliers pour le public depuis suffisamment longtemps pour affirmer maîtriser cet aspect.

Enfin, si j’ai travaillé avec de nombreux public différents, je suis plus habitué aux adultes et ne me sens pas encore à l’aise avec les enfants ou les adolescents. Cela ne m’empêche pas de mener des actions à leur destination et je pense que l’assurance viendra avec l’expérience.

  1. Pour vous, quelles sont les missions d’un médiateur numérique ? Que mettez-vous dans votre périmètre, et que mettez-vous en dehors ? La question « de faire avec » versus « faire à la place de » se pose-t-elle fréquemment ?

En théorie, pour moi, le médiateur numérique est un couteau suisse qui peut être amené à mener de nombreuses missions différentes. Cela peut concerner l’animation, la maintenance d’outils (soudure, menuiserie…), l’EMI, la communication (animation de portail ou création de supports de communication) ou même parfois du codage. Il arrive également que les médiateurs numériques fassent de l’assistance informatique de premier niveau pour leurs collègues.

le médiateur numérique est un couteau suisse

En pratique, personne ne peut accomplir toutes ces missions, j’ai eu la chance d’arriver dans une équipe avec des collègues qui complétaient mon profil. Si je suis plus technicien (capable de lire du code, de faire des petites réparations sur des cartes mères…), j’ai eu une collègue médiatrice numérique avec de solides compétences artistiques et en communication. J’ai également eu une responsable capable de me recentrer (j’ai noté qu’un certain nombre de médiateurs numériques tel que moi pouvaient se laisser emporter par un sujet, sûrement un défaut qui vient avec la passion et l’aspect « touche à tout » qui sont des prérequis pour ce métier).

Pour ce qui est en dehors, j’exclus l’e-administration qui est plus le rôle du conseiller numérique ou d’aidant connect même si j’ai conscience qu’un certain nombre de structures n’a pas le luxe d’avoir ces 2 postes.

En résumé, j’aurais tendance à dire que, dans une situation idéale,

le médiateur numérique est plus sur l’aspect culturel du numérique quand le conseiller numérique se concentre sur l’illectronisme.

La question de « faire à la place de » se pose régulièrement lorsque l’on anime un fablab puisque l’aspect informatique fait peur à des usagers pourtant intéressés par la fabrication. La MDE a pris le parti de ne pas le faire et de rester dans la médiation, pas dans la prestation de services.

  1. En tant que médiateur numérique, quelle est votre place dans votre équipe / service ? Quels liens sont tissés entre votre activité et celle de vos collègues ? Quelles compétences sont déjà partagées ? Quelles compétences mériteraient d’être davantage croisées ?

Au sein de la MDE, je travaille dans le secteur Numérique et Innovations qui est composé de 4 personnes. Au sein de ce secteur, j’occupe un poste à part étant donné que je possède le seul ETP dédié au fablab. 2 de mes collègues travaillent sur les bibliothèques numériques et les outils d’animation. Le quatrième poste est celui de notre responsable. Tous participent au FabuLab 91.

Avec le FabuLab 91, j’essaie de créer de la transversalité en amenant l’ensemble de la MDE (24 agents) à réaliser des projets professionnels sur nos machines. Cela peut être des éléments de décoration pour les mises en valeur, des outils d’animation ou des accessoires pour faciliter le travail.

Concernant le réseau de l’Essonne, le fablab étant itinérant, nous fonctionnons avec un système de résidences de 3 mois durant lesquelles nous déployons les machines dans un lieu de lecture publique. Au début de chaque résidence, nous formons les agents locaux à l’utilisation des machines et les accompagnons sur un projet pour leur équipement.

Nous travaillons sur une mise en réseau des fablabs essonniens, qu’ils soient en bibliothèques ou non. Pour atteindre cet objectif, nous avons mis en place des « workshop » (des ateliers de partage de compétences et de pratiques entre professionnels ayant déjà des connaissances en fabrication numérique) et avons développé une documentation collaborative qui se décline sous plusieurs formats :

  • Les fiches mémo technique : des pas à pas expliquant comment réaliser une tâche précise à destination de tous
  • Les fiches atelier : description et déroulé d’une animation à destination des professionnels
  • Les fiches projet : retour d’expérience sur la réalisation d’un projet complexe

Pour finir, nous travaillons sur une labellisation Bibliothèque Numérique de Référence qui inclura, entre autre, la création d’open badges que nous espérons généraliser au niveau de l’Essonne.

  1. Selon vous, dans les années qui viennent, comment va évoluer la médnum et le métier de médiateur numérique en bibliothèque ?

Si je me base sur ma connaissance du réseau essonnien et des médiathèques départementales en général, je pense que les bibliothèques ont des niveaux très inégaux en ce qui concerne la médnum. L’évolution du métier dépendra de chaque structure. Une partie idéaliste de moi espère que tous les médiathécaires seront, en partie, médiateurs numériques.

J’aurais également tendance à dire que l’écologie et l’EMI, qui sont déjà des sujets porteurs en bibliothèque, prendront plus de place, y compris au niveau de la médnum (sobriété numérique, IA et deep fake…).

Pour finir, et j’ai conscience d’être partial sur le sujet, l’apparition croissante de repair cafés et de fablab mettent en avant un besoin de réparer/fabriquer soi-même, je pense donc que les équipements de lecture public auront tendance à creuser le « savoir faire » en mettant en place des services de fabrication numérique.

  1. Quel type de public vient vous voir, et quel est son besoin, quelles sont ses demandes ?

Nous touchons beaucoup de publics différents, des enfants aux personnes âgées.

Les enfants ont tendance à être dans la consommation (« je veux un Pikachu en 3D ») et nous essayons de les amener plus vers l’action. La situation socio-économique de l’Essonne fait que nous nous retrouvons parfois avec des enfants désœuvrés laissés seuls les samedis (jour habituel d’accueil du FabuLab 91), pour ces enfants-là, l’accueil est toujours complexe car habituellement nous ne fournissons pas les consommables aux usagers ce qui peut bloquer l’accès de ce public à nos services.

Les habitués des médiathèques (surtout les personnes âgées) ont tendance à se laisser emporter par leur peur des ordinateurs malgré leur intérêt. Nous arrivons parfois à les convaincre à tenter un projet mais il est rare qu’ils deviennent des habitués du service.

Nous avons réussi à faire venir un public souvent inconnu des médiathèques : les geeks passionnés. Ce sont des bricoleurs, souvent portés sur les cartes de programmation, qui ne connaissent pas les fablab et qui n’ont pas d’autres passionnés dans leur entourage. Cela crée une forme d’isolement pour eux car ils ne peuvent pas partager leurs centres d’intérêt. Souvent amenés par leurs conjointes qui fréquentent habituellement la médiathèque, ils finissent par venir tous les jours d’accueil, souvent simplement pour parler de leurs projets en cours. On retrouve, avec ce public, le rôle social des bibliothèques.

Pour finir, notre principal public, en ce qui concerne le FabuLab 91, est constitué des « professionnels » au sens large : Lecture publique de l’Essonne, des fablab essonniens, associations culturelles, MARPA, IME…. En général, ils s’adressent au FabuLab 91 suite à un appel à projet pour co-construire avec nous une animation autour de la fabrication numérique. Plus exactement, il n’est pas rare qu’ils demandent une prestation de service (« Pouvez-vous venir faire un atelier flocage ? » par exemple) mais nous imposons la création d’une animation personnalisée à l’équipement (exemple : en lien avec l’actualité culturelle).

Avatar d'un médiateur numérique en bibliothèque
  1. Sur quels matériels et logiciels intervenez-vous (ceux du public, ceux de la bibliothèque, les vôtres) ?

En excluant les outils numériques sur lesquels je n’interviens qu’en l’absence de mes collègues, ainsi que le petit matériel, voici la liste de nos machines, logiciels et outils de médiation :

  • Syracuse pour le SIGB qui nous sert aussi à diffuser la documentation collaborative et l’agenda du FabuLab
  • Inkscape pour le dessin sur ordinateur ainsi que ses extensions
  • Inkstitch pour la broderie
  • Roland pour le plotter de découpe
  • Les logiciels de pilotage liés aux différentes machines
  • Google Drive et PowerPoint pour la documentation collaborative
  • Des logiciels de modélisation 3D :
    • Tinkercad pour l’initiation
    • Blender pour les créations artistiques
    • Freecad pour les projets plus proches de l’ingénierie (engrenages)
  • Les machines de fabrication :
    • Imprimantes 3D (Dagoma Magis et Up box +)
    • Brodeuse numérique (Bernina 500)
    • Plotter de découpe (Roland GS-24 et GS2-24)
    • Découpeuses universelles (Silhouette Curio et Caméo)
    • Découpeuses laser (Laserbox Makeblock et Flux Beamo)
  • CNC fil chaud (MC4X)
  • Des cartes de programmation :
    • Makey Makey
    • Touch Board
    • Arduino
    • Micro:Bit
  • Un parc de 15 ordinateurs dédiés au FabuLab 91 (exclu du parc informatique du département et dont je m’occupe de la maintenance)

Pour plus d’informations, vous trouverez la description des machines et de nos outils à cette adresse :

mde.essonne.fr

  1. Avez-vous les moyens de faire votre travail de médiateur (matériels adaptés, réseau Wi-Fi accessible, accès possible aux sites les plus fréquents, etc.) ?

Suites aux attaques qu’ont subis l’Hôpital de Corbeil-Essonnes et le Département de la Seine-Et-Marne, la Direction du Service Informatique a durci ses protocoles concernant le réseau. Nous avons perdu des logiciels que nous utilisions et rencontrons des difficultés concernant la connexion internet. L’avantage que nous avons est le parc d’ordinateurs extérieurs au réseau du département, cela nous laisse beaucoup de libertés même si leur maintenance est chronophage.

Au-delà de ces problématiques, l’intervention du FabuLab 91 dans les bibliothèques rurales ne possédant souvent pas de wifi, et parfois en dehors de toute couverture réseau pour nos clés 4G, pose ses propres difficultés.

  1. Quel est votre rayon d’action géographique ?

Toute l’Essonne pour l’accompagnement des services de fabrication numérique. Nous avons également échangé ponctuellement avec des structures d’autres départements.

Pour l’installation du FabuLab 91 et l’animation d’ateliers : l’Essonne rurale (2/3 du département).

  1. Intervenez-vous dans des actions de médiation autres que numériques ?

Oui et non, le numérique n’est qu’un outil, pas une fin. Il n’est pas rare d’inclure d’autres types de médiation lors des ateliers (EAC par exemple) mais il y a toujours une composante numérique lorsque j’interviens.

  1. Si vous avez été médiateur numérique en dehors des bibliothèques : quelles sont les différences ?

Ce n’est pas mon cas.

  1. Avant d’y travailler, fréquentiez-vous des bibliothèques ? Si oui, pour quels services ? Si non, pourquoi ?

Manque de temps.

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