Conversation entre Cyrille Jaouan bibliomaker & Casimir Jeanroy Chasseux Fabmanager d’Ici&Lab publié dans l’ouvrage Espaces de Création Numériques en Bibliothèque

Les ratés du bibliomaker

Casimir : Quelle est donc cette nouvelle espèce de bibliothécaire maker ?

Cyrille : Le bibliomaker est une espèce invasive si l’on ne prend pas quelques précautions. Mais son biotope reste la bibliothèque, même si cela n’est pas sans poser quelques questions sur la transformation des espaces de lecture publique.

Casimir : Faisons-nous l’avocat du diable : la question de la présence d’Espace Créatif Numérique (ECN) en bibliothèque change-t-elle la nature même des bibliothèques ?

Cyrille : On peut répondre que les bibliothèques sont depuis toujours le lieu des savoirs (littéraires, théoriques et livresques) mais également celui des apprentissages et de l’autoformation. Dès lors, pourquoi exclure les savoir-faire des bibliothèques ?

Arrivé en même temps que le CD-ROM en bibliothèque, au siècle dernier donc (véridique^^), j’ai participé à cette première période antique de mise à disposition et d’accompagnement avec l’arrivée d’internet, la création d’Espace Public Numérique, la mise en place d’ateliers d’initiation. Même si les enjeux de la fracture numérique sont toujours présents et doivent encore être pris en compte. Il me semble qu’aujourd’hui les bibliothèques doivent également aller plus loin, vers plus de création et plus de participation avec le numérique comme outil (pas uniquement, mais c’est un autre sujet…).

Nous entrons dans une deuxième période, je constate que cette fameuse culture numérique traverse nos vies et nos territoires, faisons en sorte qu’elle traverse aussi les étagères des bibliothèques. Alors oui, le Bibliomaker lorgne du côté des fablabs, Qu’avons-nous à apprendre des mouvements DIY et makers ? Avant tout l’envie d’expérimenter et le droit à l’erreur. Beaucoup plus la posture et les savoir-être que les compétences au final.

Casimir : Et plus concrètement. Vous vous êtes réveillé un matin avec des super-pouvoirs d’imprimeur 3D et de codeur ? Comment apprend-t-on à être bibliomaker ?

Cyrille : Alors non ! Pour ma part, j’ai tenté, testé et je me suis beaucoup planté.

Ah ! Cette tour virtuelle de cd-rom qui n’a jamais fonctionnée !

Ah ! Cette sitothèque que personne n’a jamais utilisée !

Ah ! Cette piratebox brickée à jamais !

J’ai eu la chance sur mes postes successifs d’avoir ou d’avoir pu créer cet espace de liberté indispensable à l’expérimentation. Sécuriser l’expérimentation, la facilliter est le rôle du bibliomaker. Sans ce cadre de confiance, bienveillant, pas de prise de risque dans l’équipe ! Avec les collègues, plutôt geeks ou pas du tout nous avons fait, refait, défait, parfois échoué : atelier BD numérique, borne tactile audio, atelier robotique, blogs et réseaux sociaux, atelier code informatique, tablette XXL, heure du conte numérique, liseuses et e-book, Bibliobox, Minecraft et impression 3D, borne de retrogaming, et même des masques et des visières ! Tout n’a pas été un succès mais l’important est d’évoluer et d’évaluer sereinement. Réussir son ratage en somme !

Casimir : Et demain ? Vous développez un concept loufoque autour du Kangourou… Qu’est-ce que les marsupiaux ont à voir avec les bibliomakers ?

Cyrille : Partir en formation, c’est bien mais je pense vraiment que ce travail d’acculturation au numérique se fait au quotidien en l’incluant petit à petit dans les pratiques professionnelles. Attention au syndrome du Kangourou, si le numérique reste dans la poche du geek de l’équipe, c’est loupé !